Construire un nouveau calendrier
Adapter le calendrier pour coller à nos valeurs et créer plus de cohésion.

La manière dont nous structurons le temps, notre calendrier, semble évidente et éternelle. Janvier est en janvier, lundi se répète toutes les semaines, et Noël est à Noël. Mais cette impression est trompeuse, et les calendriers ont en fait beaucoup varié au cours des siècles. L'histoire des calendriers est extrêmement intéressante, et intimement liée à l'histoire politique et religieuse.
J'ai écrit un post plus complet (en anglais) sur l'histoire et l'évolution des calendriers, que vous pouvez retrouver ici :

Dans ce post je vais me concentrer plus spécifiquement sur l'idée de construire un nouveau calendrier.
De nos jours la quasi-totalité du monde utilise le calendrier Grégorien afin de structurer le temps. Mais la signification attachée à chaque jour et les fêtes célébrées sont pour la plupart obsolètes. Plusieurs calendriers ont tenté de modifier les jours fériés pour mieux refléter les valeurs de leur temps. En nous appuyant sur ces expériences, nous pouvons proposer et construire un nouveau calendrier pour le XXIème siècle.
Des calendriers novateurs
Le Calendrier Républicain
Après la Révolution Française, il y avait une forte volonté de détruire toute trace de l'Ancien Régime. La chrétienté était associée à la monarchie, donc toute influence catholique devait être supprimée.
Les révolutionnaires décidèrent donc de réinventer le calendrier, "recommencer l'histoire" comme disait Mirabeau. Des débats houleux eurent lieu, mais le Calendrier Républicain fut finalement adopté.

Dans ce calendrier, l'an I est fixé à 1789, l'année de la Révolution.
La semaine devient une décade, avec 10 jours. Chaque jour est nommé en fonction de sa position dans la décade : "Primidi" est le premier jour, "duodi" le deuxième, "tridi" le troisième, etc.
Dimanche, le dernier jour de la semaine, était le seul jour de repos à l'époque de la Révolution. Le calendrier républicain a conservé l'idée de week-end, mais en le transposant à la décade. Le dernier jour, "décadi", est un jour de repos, le seul de la décade. La population est donc passée d'un jour de repos tous les 7 jours à un jour de repos tous les 10 jours. La mesure n'était pas extrêmement populaire, mais après tout ils recommençaient l'Histoire.
Chaque mois a 3 décades, et leur nom reflète la période de l'année : "Floréal" (20 avril - 21 mai) est le mois des fleurs, "Fructidor" (19 août - 17 septembre) est le mois des fruits.
La signification même des jours est modifiée : au lieu d'un saint catholique, on célèbre un animal, une fleur, un fruit ou un outil vaguement relié à la période. Le 5 Brumaire (26 octobre) est le jour de l'oie, le 7 Brumaire celui de la figue, et le 19 Brumaire celui de la charrue.
Aujourd'hui, nous sommes le tridi 13 thermidor, de l'année CCXXX du calendrier républicain, jour de l'abricot. pic.twitter.com/6NeTfPKPED
— Ère républicaine (@Ererepublicaine) July 31, 2022
Le calendrier républicain fut finalement abandonné, en partie à cause des week-ends moins nombreux, mais surtout à cause de l'attachement des Français au catholicisme. La France repassa au calendrier Grégorien en 1806, au début du Ier Empire.
Un calendrier jamais utilisé : le calendrier positiviste
Auguste Comte est un philosophe français né en 1798 (30 nivôse an VI pour être précis), principalement connu pour avoir posé les bases de ce qui deviendra la sociologie moderne.
Au cours de sa vie, il a développé un système de pensée complet : le positivisme. Selon lui, il ne sert à rien de chercher la nature intrinsèque des choses et leurs causes premières. L'ensemble de la société et de la nature peut s'expliquer à partir de lois scientifiques et d'expérimentations.
Le positivisme scientifique s'est progressivement transformé en une religion, la Religion de l'Humanité. Comme toute institution religieuse sérieuse, l'Eglise Positiviste a défini son propre calendrier. L'objectif était de représenter les principes du positivisme, et de créer de la cohésion au sein de la nouvelle société que Comte voulait construire.

L'année positiviste est composée de 13 mois de 28 jours. Chaque mois est dédié à une période spécifique de l'histoire humaine, et associé à une grande figure symbolisant la période. Chaque jour est dédié à un personnage mineur de la même période. L'année représente l'ensemble de l'histoire humaine, en partant de la "théocratie initiale" pour arriver à la "science moderne".
Le premier mois est donc dédié à la "théocratie initiale", avec Moïse comme grande figure, le septième mois à la "civilisation féodale", incarnée par Charlemagne, et le dernier mois symbolise la "science moderne", avec Bichat comme figure tutélaire.
Au cours du huitième mois ("épopée moderne" - Dante), le premier jour célèbre les troubadours, le troisième jour est celui de Cervantes, et le huitième est dédié à Léonard de Vinci.
Le calendrier positiviste n'a jamais été implémenté en pratique, mais l'Eglise Positiviste a eu une grande influence en Amérique Latine. La devise "Ordre et Progrès", ou "Ordem e progresso" en portugais, figure sur le drapeau brésilien, et il existe encore aujourd'hui une branche active de l'Eglise Positiviste au Brésil.

Les jours fériés et la signification du calendrier
Pour chaque calendrier, il y a donc deux aspects : la manière dont le temps est structuré (semaine, mois, année), et la signification attachée à chaque jour, semaine ou mois.
Les exemples du Calendrier Républicain et du calendrier positivistes sont très instructifs : ces calendriers ont non seulement modifié la manière dont le temps était structuré, mais ils ont également modifié la signification de chaque jour. Au lieu de célébrer un saint chrétien, les révolutionnaires français ont choisi de mettre en avant des plantes, des fruits, et des outils, des objets concrets de leur vie quotidienne. Comte a choisi d'honorer des figures historiques, ou semi-mythiques.
Les jours fériés, et plus généralement les fêtes du calendrier, doivent refléter ce qui est important pour notre société. De la même manière que nous érigeons des statues, et que nous nommons des rues d'après des figures ou des évènements importants, les jour fériés nous permettent de célébrer ce que nous avons en commun, et de nous remémorer des pans importants de notre histoire. Ils sont un moyen de décorer le temps.
Ils est donc essentiel pour la cohésion d'une société d'avoir des jours fériés dans lesquels tout le monde peut se reconnaitre, qui reflètent les valeurs de la société en question, et ce que nous souhaitons passer aux générations futures.
La laïcité et les jours fériés français
En France la laïcité s'est imposée dans tous les domaines de la vie publique. Quelque soit la définition que chacun en a, il est très surprenant de constater que la plupart de nos jours fériés sont des fêtes religieuses, dont très peu de gens connaissent la signification première. L'origine est inconnue, mais notre histoire chrétienne et nos habitudes font que tout le monde sait qu'il y a un jeudi en mai qui est férié, pas très loin d'un lundi semi-férié.
Le meilleur exemple de cette déconnexion entre l'origine de la fête et l'usage qui en est fait aujourd'hui est justement la Pentecôte. La Pentecôte est, à la base, une fête célébrant la descente de l'Esprit Saint sur les apôtres. Dans le Nouveau Testament, des langues de feu descendent du ciel, et les Apôtres parlent à chacun dans sa langue maternelle, ce qui symbolise le fait qu'ils sont prêts à répandre la bonne parole à travers le monde entier.
Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d'un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
De nos jours, soyons honnêtes, très peu de gens connaissent la signification de la Pentecôte. Jusqu'en 2004 c'était un jour férié classique. Suite à la canicule de 2003 et les nombreux décès de personnes âgées qu'elle a entrainé, le gouvernement l'a transformé en "jour de solidarité", c'est à dire un "jour supplémentaire de travail pour le salarié, non rémunéré par l’employeur". L'idée était de financer le système de retraite en faisant travailler tout le monde gratuitement, un jour par an.
On se retrouve donc aujourd'hui avec un jour semi-férié, pendant lequel certaines administrations publiques ferment (certaines collectivités imposent un RTT ce jour-là pour éviter le chaos), certains commerces sont ouverts, d'autres non, certaines personnes travaillent sans être payées, d'autres posent des vacances pour partir en week-end prolongé, et quelques milliers de personnes vont effectivement célébrer l'Esprit Saint.
Le cas de la France n'est pas isolé. Dans la plupart des pays d'Europe, les fêtes chrétiennes ont perdu leur signification premières dans des sociétés déchristianisées.
Construire un nouveau calendrier
Une opportunité à saisir
Sans renier notre héritage chrétien, au coeur de l'histoire européenne, une idée intéressante serait de reprendre les principes du calendrier républicain et du calendrier positiviste, adaptés au monde moderne.
Au lieu de célébrer des fêtes religieuses, qui étaient historiquement comprises par une majorité et permettaient de créer de la cohésion mais qui ont perdu leur signification, nous pourrions utiliser des succès collectifs, des inventions et des évènements récents qui impactent concrètement nos vies, et dans lesquels nous pouvons toutes et tous nous reconnaitre.
Modifions les jours fériés, tous les jours même, pour les rendre plus cohérents et les relier à nos valeurs modernes !
Cette mise à jour du calendrier peut avoir plusieurs bénéfices :
- Reconnecter les gens avec l'histoire récente, et montrer comment les évènements contemporains ont façonné la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui ;
- Permettre à tout le monde de connaitre et de comprendre le rôle des sciences, des arts et de la culture dans notre vie moderne ;
- Créer plus de cohésion en célébrant des succès collectifs et des figures communes, au lieu de fêtes religieuses qui excluent nécessairement une partie de la population ;
- Construire des fêtes partagées à travers le monde, similaires aux évènements sportifs internationaux, permettant de créer du dialogue et de la compréhension entre les nations.
Créer un calendrier néo-positiviste
La proposition est la suivante : garder le calendrier grégorien, qui est parfait pour compter les mois et les années, mais changer la signification des jours.
Chaque jour, nous pouvons célébrer une invention, une oeuvre d'art, un bâtiment, et/ou la personne qui l'a réalisé. Cela peut aussi être un succès collectif ou une notion abstraite, tout élément qui peut créer de la joie et de l'attachement.
Voici quelques idées basées sur les jours fériés français :
- "Pâques"* : Imprimerie, Johannes Gutenberg, fête du livre et de la literature ;
- 40 jours après la Fête de l'Imprimerie (aka "Ascension") : Chemin de fer, Richard Trevithick, fête du train et de la locomotive ;
- 50 jours après la Fête de l'Imprimerie (aka "Pentecôte") : Transistor, Ordinateurs, Ada Lovelace, fête d'Internet ;
- 15 août : avion, fusée, frères Wright, fête de l'espace et de l'aéronautique ;
- 1er novembre : Vaccins, Louis Pasteur et Edward Jenner, fête de la santé et de la médecine ;
- 25 décembre : Ampoule électrique, Thomas Edisson et Nicolas Tesla, fête de l'électricité et de la lumière.
Vous voulez participer ? J'ai créé un calendrier partagé pour que tout le monde puisse apporter sa contribution. Créez simplement un évènement en 2023 à la date que vous souhaitez, avec la personne ou l'idée que vous voulez célébrer. Je vous tiendrais au courant de l'avancée du calendrier néo-positiviste !

*La date de Pâques est définie de manière baroque, car l'Eglise Catholique voulait absolument éviter que Pâques tombe le même jour que la Pâque juive. La date de Pâques est donc : "le premier dimanche après la pleine lune venant juste après le 21 mars". Ce sera ce jour que l'on choisira pour la Fête de l'Imprimerie.