Nature, progrès et accélération

Avec l'idée que la civilisation industrielle est néfaste, les decels rejettent les solutions à la crise climatique et ralentissent le progrès. Nous devons au contraire maximiser la disponibilité énergétique et en matières premières grâce à la technologie pour atteindre l’abondance soutenable

Nature, progrès et accélération

Le Jardin d'Eden et le Péché Originel

La Nature Créée

Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. » Et ce fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Et Dieu vit que cela était bon.

Une croyance centrale dans de nombreuses religions est l'idée que la Terre, l’Humanité et la Nature ont été créées par une entité divine, et qu’il ne faut donc pas y toucher. Un dieu ou groupe de dieux ont créé l’univers, et maintenir cet ensemble dans son état actuel a une valeur intrinsèque, même si tous les humains devaient disparaître demain. La Nature a un ordre et une beauté propres, même sans personne pour les apprécier.

Cette perception religieuse de la Nature conduit souvent au rejet du progrès technologique, perçu comme allant à l’encontre de la volonté du créateur divin. On peut entendre des expressions telles que "c’est contre-nature" ou “nous ne devrions pas jouer à Dieu” lorsque des groupes ayant des affiliations religieuses s’opposent à de nouvelles technologies ou à des changements sociétaux.

La Nature Parfaite

"Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi. Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

Les mouvements écologistes modernes ont adopté une partie de l’idée de la Nature Créée, la percevant comme une harmonie parfaite, quelque chose d’immensément précieux et infiniment supérieur à l'Humanité. Il existe un chevauchement entre des mouvements écologistes marginaux et des croyances animistes archaïques, qui voient implicitement ou explicitement la Terre et la Nature comme des entités divines et conscientes, que les humains devraient craindre.

Cela conduit à la croyance que l’ordre “naturel” doit être protégé, parfois au détriment de l’humanité. Certains écologistes modernes peuvent s’allier avec des groupes religieux, percevant le progrès technologique comme une forme de transgression, quelque chose qui perturbe l’ordre naturel et qui devrait donc être limité.

La Nature Maléfique

Il dit à la femme: J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.
Il dit à l'homme: [...] le sol sera maudit à cause de toi. C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l'herbe des champs. C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.

En revenant à la conception initiale de la Nature Créée, il existe en fait une idée fausse très répandue, même parmi les croyants : l’idée que la Nature, c’est-à-dire la partie de la Création où vivent les humains, est l’endroit parfait pour les humains.

Dans la Genèse, Adam et Ève sont placés dans le célèbre Jardin d’Éden. Un cadre idéal, conçu spécifiquement pour les humains, maximisant leur bien-être et leur bonheur. Après le péché originel, ils ont été expulsés du Jardin et placés dans… la Nature !

Dans la Genèse, la Nature est une punition, un lieu où les humains souffrent, extraient leur nourriture du sol, meurent en couches, et se battent entre eux. Le monde dans lequel nous vivons est un lieu de douleur et d’expiation, où nous payons pour le Péché Originel.

Dans les textes originaux, la Nature est vue comme une entité maléfique, démoniaque, une force non humaine qui nous veut du mal. Elle se trouve en dehors du Jardin céleste qui a été créé pour l'Humanité et est, en fin de compte, une punition.

Le progrès technologique est la tentative humaine de recréer le Jardin d’Éden

La Nature Croissante

Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.

La vie sur Terre est le résultat d'un processus d'essai-erreur, un phénomène thermodynamique qui conduit à l’assemblage de molécules auto-réplicantes, construisant des organismes de plus en plus complexes. Il n’y a ni logique, ni direction, ni moralité, ni considération pour la persistance ou l’existence individuelle. La vie apparaitrait à nouveau si les mêmes conditions se répétaient.

Dans nos sociétés laïques, attribuer une volonté, même vague, à la Nature est absurde. Anthropomorphiser la Nature, une idée provenant de lointaines croyances animistes et perpétuée par notre culture judéo-chrétienne, crée toutes sortes de distorsions. La Nature ne peut pas être blessée, elle n'a pas de sentiments, et elle n’a pas de volonté. La Terre est apparue et disparaîtra, avec ou sans les humains.

Si on admet qu'une version diffuse et globale de la biosphère terrestre existe en tant que telle, l’un des principaux objectifs de la civilisation humaine a été de s’éloigner de celle-ci, ou en tout cas d’exploiter ses aspects positifs tout en éliminant les négatifs.

Les comportements violents naturels sont découragés dans toutes les sociétés. Le meurtre, le cannibalisme et la torture sont des comportements naturels, mais aucune société ne les valorise parmi ses membres. Les virus pathogènes sont naturels, mais personne ne songerait à les qualifier de forces positives pour l’humanité.

La Nature est simplement un terme désignant tout ce qui échappe au contrôle humain. Selon ses interactions avec le monde humain, elle peut être bénéfique ou malveillante. Domestiquer le feu fut la première étape de l'extension du domaine des humains ; l’agriculture en fut une autre. Au lieu de dépendre de son environnement, l'Humanité s’est lancée dans une quête pour contrôler la biosphère et éliminer les contraintes associées à la vie sauvage.

La biosphère n’a pas été faite pour les humains. Elle n’a été faite pour rien ni personne.

Nous devons créer notre propre Jardin d’Éden, en utilisant la technologie pour transformer l’énergie et les matières premières en avantages concrets pour l’humanité

Les raisons d'être optimiste

On entend souvent des discours pessimistes sur l’état actuel du monde. La fin est proche, les choses n’ont jamais été aussi graves, la Terre est en train de mourrir, la civilisation telle que nous la connaissons est sur le point de disparaître. Pourtant, lorsque l’on regarde les chiffres, les choses ne semblent pas si désespérées, et nous pourrions même être sur le bon chemin pour (re)créer le Jardin d’Éden.

Les graphiques ci-dessus proviennent de Our World in Data, une excellente source d’optimisme. Il y en a beaucoup d’autres. Espérance de vie, mortalité infantile, éducation, éradication des maladies, PIB, pauvreté, travail des enfants, faim, temps libre… Tous ces indicateurs sont bien meilleurs aujourd’hui qu’il y a 50 ans partout dans le monde, et ne sont même pas comparables aux niveaux d’il y a 100 ans. Les 2 derniers siècles ont été un bond sans précédent pour le bien-être des humains, dans toutes les dimensions pertinentes.

12 key metrics to understand the state of the world
Our World in Data is home to thousands of charts. But some metrics are core to our work: here we present 12 that help us understand the state of the world.

Même si l'on examine des indicateurs liés à des besoins humains plus avancés, les choses s’améliorent. Par rapport à la fin du XIXe siècle, le nombre d’heures de travail a diminué de 50 %. Les gens sont plus grands, ce qui est un indicateur de la qualité nutritionnelle. Les stocks mondiaux d’armes nucléaires ont été divisés par 5 depuis 1990.

À un niveau fondamental, la raison principale de toutes ces améliorations est que nous avons accru la disponibilité énergétique et des matières premières par personne. Nous avons utilisé la technologie pour transformer des cailloux et de l’énergie primaire en bénéfices concrets pour les humains. C'est la définition de la croissance. Nous la mesurons généralement en termes monétaires, car il est beaucoup plus difficile de mesurer la disponibilité de l’énergie et des matières premières, mais fondamentalement, l’argent n’est qu’une construction humaine. La réalité est constituée d’énergie et des matières premières, rendues utiles par la technologie humaine.

La croissance de l'énergie et des matières premières disponibles, permise par la technologie, est la base de la civilisation industrielle, et c’est notre façon de créer le Jardin d’Éden

Si l'on regarde les choses en face, en plus de tous ces bénéfices, nous avons également créé d’énormes externalités négatives. Les plus significatives sont les émissions de gaz à effet de serre, qui provoquent le changement climatique. Si nous parvenons à poursuivre l'augmentation de la disponibilité énergétique et des matières premières, tout en réduisant les externalités négatives et les émissions de carbone, nous pourrons continuer à améliorer le bien-être humain dans son ensemble, sans compromettre notre avenir.

Le virus de la décroissance

La situation est grave, et la crise climatique exige des actions si nous voulons maintenir ou améliorer notre niveau de vie actuel. Cela doit être une raison de se mettre en mouvement, et non de désespérer.

Pourtant, de plus en plus de mouvements, de tous bords politiques, prônent la décroissance, c’est-à-dire la réduction de la disponibilité en énergie et en matières premières, au nom de la durabilité. Ces decels adoptent les opinions religieuses de leurs partisans, ou bien l’idée de la Nature Parfaite pour intégrer dans leur corpus idéologique l’idée que les humains sont des créatures pécheresses qui ne méritent pas tout le confort moderne et que le progrès technologique est nuisible.

Pour que les citoyens acceptent la décroissance, ils doivent être mécontents de la situation actuelle. Les decels insistent, consciemment ou non, sur une catastrophe imminente pour imposer leur agenda de décroissance, qui abaissera inévitablement les niveaux de vie.

La pensée decel est omniprésente, enracinée dans des normes idéologiques et culturelles profondes, et peut apporter des avantages politiques à ses défenseurs. Cependant, en présentant la situation actuelle de manière biaisée et en dénigrant les potentielles solutions technologiques, elle empêche une analyse rationnelle des technologies modernes et du progrès en général. Au lieu de ça, l'idéologie et le dogme prennent le dessus.

Nous mettons des analyses d'ingénieurs et de scientifiques au même niveau que des opinions de lobbyiste et de militants decels, ce qui conduit inévitablement à des mesures absurdes et contre-productives, tant du point de vue climatique qu’humain.

Non seulement nous perdons de vue la réalité, mais nous organisons également notre impuissance face à la crise climatique en mutilant volontairement notre base industrielle et technologique. Cela se voit dans l’énergie (nucléaire contre fossiles), l’agriculture (OGM contre bio), les transports (e-carburants/électricité contre moteurs thermiques), la santé (vaccins et thérapies géniques contre l'homéopathie), et bien d’autres domaines.

📢
Je tiens à clarifier une chose : je crois fermement que la crise climatique est le plus grand défi du 21ᵉ siècle. Ma vie professionnelle est dédiée à en résoudre une petite partie, et si nous ne trouvons pas de solutions radicales, des milliards de personnes souffriront.
La plupart des decels sont sincères dans leur engagement et voient véritablement la Nature comme une force positive, pensent que la technologie est néfaste, et que limiter la croissance humaine sera en fin de compte bénéfique.
Le problème ne vient pas des personnes, mais des idées : ces croyances sont enracinées dans une pensée magique, et conduisent à des distorsions dans la façon dont nous prenons nos décisions, individuelles ou collectives.

Les humains sont imparfaits, faillibles et parfois destructeurs, mais nous ne devrions pas accorder à la Nature une valeur intrinsèque, en dehors de toute existence humaine. Les humains doivent toujours être la priorité. La solution à la crise climatique ne réside pas dans la décroissance, mais dans le progrès technologique et une abondance planétaire soutenable.

Pour relever le défi immense que représente la crise climatique, et préserver les avantages de la civilisation thermo-industrielle sans ses aspects négatifs, il est essentiel d’éviter les contre-vérités et de rester aussi proche que possible de la réalité. Nous avons besoin d’une évaluation rationnelle de la situation, d’analyses coûts-bénéfices, et d’une compréhension claire des solutions potentielles. Cette analyse est bien sur impossible en un seul article, mais je vais tenter de fournir quelques outils pour éviter les pièges et aider à prendre de meilleures décisions collectives.

Les contre-vérités decels

Les decels, comme tout autre groupe idéologiquement motivé, utilisent des mensonges et des contre-vérités pour faire avancer leur cause. Armé de la croyance que la civilisation industrielle contredit d’une manière ou d’une autre l’ordre naturel, ils cherchent à créer de l’insatisfaction vis-à-vis de l’état actuel du monde, à dénigrer les solutions potentielles, et à ralentir le rythme du progrès humain.

Contre-vérité 1 : La technologie est dangereuse

La connaissance est dangereuse ; les humains ne doivent pas utiliser de technologiques puissantes, car celles-ci sont réservés aux dieux, et les humains doivent rester à leur place.

C’est la contre-vérité decel originelle, aussi ancienne que le mythe de Prométhée ayant volé le feu aux dieux. L’équivalent moderne du mythe prométhéen est le principe de précaution, qui a été inventé pour empêcher le déploiement massif de l’énergie nucléaire, probablement la décision la plus catastrophique du XXe siècle d’un point de vue climatique.

L'idée de base est que l'inventeur d’une technologie doit démontrer l’absence de risque liée à celle-ci. C’est totalement absurde. D’abord parce qu’il est logiquement impossible de prouver l’absence totale de quelque chose, et ensuite parce qu’aucune technologie n’est exempte de risque. Tout ce que nous avons, ce sont des équilibres, des coûts et des bénéfices. Certaines technologies franchissent le seuil et sont globalement positives, tandis que d’autres ne le sont pas. Nous devons utiliser celles qui sont avantageuses et empêcher le développement de celles qui ne le sont pas.

Les OGM, et en particulier le riz doré, illustrent parfaitement le pouvoir destructeur du principe de précaution. Le riz doré est une variété de riz contenant une teneur élevée en bêta-carotène, qui se transforme en vitamine A et prévient des maladies telles que la cécité et même la mort. Malgré un large consensus sur l'absence de danger du riz doré, des ONG ont réussi à faire interdire son utilisation en occultant les bénéfices considérables pour des millions de personnes, au nom du principe de précaution et d’un hypothétique risque sur la santé et la biodiversité, jamais démontré.

Une autre manière de démontrer l'irrationalité du principe de précaution est d’examiner des exemples historiques, comme le fait très bien Pessimists Archive. Au cours des dernières décennies, des technologies sûres et essentielles ont causées de nombreuses paniques morales, qui nous apparaissent aujourd'hui ridicules. Les vélos causaient apparemment une “bicycle face”, où le visage des cyclistes se figeait pour toujours en une grimace. Les ampoules rendaient supposément aveugle, et détruisaient les relations amoureuses. Les ascenseurs étaient accusés d’être à l’origine d’une hausse de la criminalité, car ils permettaient aux cambrioleurs de se cacher.

Le cycle est toujours le même :

  1. Une nouvelle technologie apparaît et est d’abord ignorée
  2. Au fur et à mesure de son développement, les acteurs en place affirment qu’elle ne fonctionnera jamais pour des raisons techniques
  3. Lorsque la technologie se répand plus largement, les mêmes prétendent qu’elle est dangereuse et constitue une menace pour la société.

Chaque fois que vous lisez ou entendez parler des immenses dangers d’une nouvelle technologie, rappelez-vous des gros titres sur les vélo et les ascenseurs, et demandez-vous si vous ce n'est pas la version moderne de ces peurs.

Contre vérité 2: small is beautiful

Quand c'est petit c'est mignon, accessible, bénéfique, et à taille humaine. Quand c'est grand c'est froid, destructeur et déshumanisé.

Cette contre-vérité prend de nombreuses formes : fabriquer soi-même des objets serait plus efficace et plus durable que de les acheter, se procurer des aliments auprès de sources locales ou même de son propre jardin serait nécessairement meilleur que d’aller au supermarché, et les objets artisanaux seraient systématiquement de meilleure qualité que les objets industriels.

En réalité, l'inverse est vrai : la production à petite échelle est plus coûteuse, plus gourmande en ressources et en énergie, et prend plus de temps pour un résultat souvent inférieur.

Essayez de cultiver des légumes dans votre jardin, et vous réaliserez à quel point il est difficile d’obtenir une récolte régulière et de bons rendements, sans parler d’être autonome. Pour une famille de quatre personnes, vous aurez besoin d'un à deux hectares de terre, il faudra donc investir dans des champs. Comme le travail est épuisant et qu'il est très laborieux de tout faire à la main, vous achèterez un tracteur. Vous allez nécessairement tendre vers une production à plus grande échelle. Et en fin de compte, vos légumes seront beaucoup plus chers, en termes de ressources, d’énergie et de travail, que ceux du supermarché. Ils auront peut-être même moins de goût.

Faire les choses à petite échelle est terriblement inefficace. Un YouTuber l’a montré de manière amusante en fabriquant un sandwich au poulet à partir de rien, en commençant par planter des céréales. Cela lui a pris six mois et coûté 1500$.

Les composants industriels sont généralement de meilleure qualité ET moins chers que les composants artisanaux. Cela a été démontré, de manière assez ironique, par le premier mouvement decel de l'ère moderne, les Luddites. Au XIXᵉ siècle, les ouvriers du textile en Angleterre ont commencé à détruire les métiers à tisser automatiques lorsqu’ils se sont rendus compte que ces machines pouvaient faire un travail d'excellente qualité, plus rapidement et pour moins cher. S’ils avaient vraiment cru en la supériorité de leur travail, ils ne se seraient pas sentis menacés de cette manière.

Laver la vaisselle à la main consomme plus d’eau que d’utiliser un lave-vaisselle pour un résultat moins bon. Toutes les réformes agraires visant à revenir à un agriculture vivrière ont échoué et ont conduit au rationnement alimentaire : Grand Bond en avant en Chine, Période spéciale à Cuba... Après une période d’engouement initial, les microgrid sont discrètement abandonnés à travers le monde. Les exemples sont nombreux.

Lorsqu’on qu'une initiative “à petite échelle” prétend obtenir un produit de meilleure qualité qu’un équivalent industriel sans avancée technologique, elle consomme presque toujours plus de ressources, d’énergie ou de travail. Les coûts peuvent être masqués par des subventions ou un marketing astucieux créant une valeur émotionnelle, mais les faits sont têtus. Les solutions miracles “Small is Beautiful” ne fonctionnent jamais sans subventions publiques, sans travail humain gratuit, ou sans une forte diminution de la qualité du produit, ce qui se traduit par une diminution du niveau de vie des consommateurs. Elles produisent des biens inférieurs à un coût plus élevé.

Nous sommes entourés de produits fabriqués à une échelle industrielles qui auraient été des luxes inimaginables il y a deux cents ans. La nourriture est un exemple frappant: nous devrions reconnaître plus souvent le miracle que représentent les supermarchés, et imaginer à quel point cette abondance semblerait prodigieuse pour nos lointains ancêtres. Parallèlement, la part du budget domestique consacrée à la nourriture a constamment diminué ces dernières décennies.

En ce qui concerne les objets du quotidien, nous devrions apprécier les petites choses omniprésentes, comme les stylos. Les stylos de type Bic sont des objets remarquables : ils impliquent la maîtrise de nombreux matériaux, sont produits en masse avec une telle efficacité qu’ils sont devenus presque gratuits, accessibles partout dans le monde, et ont permis la démocratisation de l’éducation et de la connaissance.

Tout ce qui repose sur un effet de réseau fonctionne mieux à plus grande échelle, ainsi que la plupart des services publics. Nous avons collectivement décidé de mutualiser des ressources pour garantir des bénéfices optimaux. Les logements denses sont beaucoup moins coûteux à construire et à entretenir que des maisons individuelles à faible densité. Les transports publics consomment bien moins d’énergie et de matières premières que les voitures individuelles tout en offrant un bénéfice similaire. Les petites cliniques sont moins sûres que les grands hôpitaux et ont des taux d'accident plus élevés, puisque les médecins réalisent les interventions moins fréquemment, et font plus d'erreurs sans possibilité d'assistance sur place. Les grandes universités peuvent mener des recherches et des expériences qui seraient inaccessibles aux petites institutions.

Contre-vérité 2 : moins de production = moins d'externalités négatives

Réduire la production, ou diminuer les avantages pour les humains, réduira les coûts associés, qu’ils soient énergétiques ou matériels, et réduira par conséquent les dommages environnementaux.

Le progrès et les avancées technologiques ne fonctionnent pas comme ça. Vous pouvez obtenir plus de production avec moins de ressources grâce à une avancée technologique majeure, et inversement, vous pouvez augmenter les coûts et les externalités négatives tout en réduisant votre production.

Les decels pensent qu’ils sont en bas à gauche, alors qu’en réalité ils sont en haut à gauche. Ils perçoivent le progrès comme étant en haut à droite, alors qu’il est en bas à droite.

En 1798, Thomas Malthus prédisait que la croissance de la population mondiale serait limitée par des pénuries alimentaires. Nous avons découvert comment extraire l’azote de l’air, et le développement des engrais azotés a permis d’assurer un approvisionnement alimentaire solide pour une population humaine 10 fois plus importante qu’à l’époque de Malthus, avec des rendements qui augmentent encore aujourd’hui. L'agriculture moderne a permis de réduire la surface nécessaire pour obtenir la même quantité de nourriture.

L’âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de silex, mais parce que nous avons trouvé des moyens plus efficaces de fabriquer et d’utiliser des outils.

Il y a une séquence dans “Silicon Valley” qui fait référence à la grande crise du fumier de cheval de 1894. Beaucoup pensaient que le développement urbain serait stoppé par l'amoncellement du fumier de cheval dans les rues, et que les villes seraient limités dans leur expansion. Le problème a simplement disparu avec l'apparition des moteurs thermiques.

Cette histoire est peut-être apocryphe, mais elle illustre bien l'imposture de la décroissance. Ralentir la production ne résoudra jamais un problème de la même manière que l’introduction d’une nouvelle technologie. Nous aurions eu moins de fumier, mais nous n'aurions pas pu faire disparaitre le problème de la même manière qu'avec des transports modernes, et nous aurions sévèrement limité la capacité de déplacement de la population.

Contre-vérité 4: la technologie doit être transparente

Si la technologie est trop complexe, elle est dangereuse. Si elle ne peut pas être expliquée à tout le monde, elle crée des dangers cachés. S'il y a des inconnues ou des risques, aussi lointains soit-ils, il faut éviter le déploiement.

L’essence de la société humaine est la collaboration, et la division du travail permettant d'accroitre le bien commun. Ce faisant, nous perdons nécessairement la compréhension individuelle de l'ensemble des processus mis en place. Cette capacité à collaborer avec des inconnus et à se spécialiser est peut-être le plus grand avantage de notre espèce. Au-delà de la question évidente des compétences nécessaires pour tout rendre transparent, la complexité est indispensable à de nombreuses avancées, et l’incertitude concernant les effets de second ou de troisième ordre ne devrait pas disqualifier une technologie. Les risques doivent être gérés, pas éliminés.

C’est un truisme profondément erroné que nous devrions cultiver l’habitude de réfléchir en permanence à ce que nous faisons. En réalité, c’est tout le contraire. La civilisation progresse en augmentant le nombre d’opérations importantes que nous pouvons accomplir sans y penser.
Alfred North Whitehead

L’exemple le plus récent concerne les modèles de langage (LLM) et l’IA, où la prétendue complexité de la technologie est utilisée pour imposer une capture réglementaire. Cela s’applique également à l’énergie nucléaire, où les opposants utilisent souvent la complexité d’une centrale nucléaire pour conclure à sa dangerosité intrinsèque.

Une autre version de l’idée selon laquelle “la technologie doit être transparente” est la notion que nous devrions être capables de réparer les objets nous-mêmes, et que tout était mieux avant, lorsque l'on pouvait réparer sa voiture et son réfrigérateur soi-même un samedi après-midi.

Tout d’abord, il y a un biais de survivant. Les objets n’étaient pas nécessairement plus durables avant ; c’est simplement que le grille-pain de votre grand-mère qui a duré 25 ans était une exception, et que l'on a oublié les innombrables appareils qui ont fini à la décharge rapidement. Ensuite, à mesure que la technologie progresse, il est normal que nous soyons moins capables de réparer les choses nous-mêmes — c’est simplement un effet de la spécialisation. Un cheval peut s’entretenir seul, une machine à vapeur est un peu plus difficile à maintenir en état de marche, et un moteur à réaction moderne nécessite des équipements avancés. C’est logique et directement lié aux avantages apportés par chaque technologie.

Pensez-vous que tous les Romains savaient comment fonctionnait la Cloaca Maxima ? Que tous les Babyloniens comprenaient comment construire des palais ou des bateaux à voile ? Imaginez si vous deviez comprendre toutes les subtilités de la production d’énergie et du génie électrique pour utiliser une ampoule, ou saisir tous les systèmes complexes impliqués dans le pompage de l’eau et l’assainissement pour utiliser un robinet.

💡
Les decels ont souvent une vision paradoxale de l’autonomie et de l’interdépendance : ils valorisent une forme illusoire d’autonomie, ainsi que des relations de proximité, tout en refusant de dépendre d’une grande infrastructure technico-économique. Ils cherchent à créer des liens de solidarité dans des communautés réduites, sans voir que cela conduit naturellement à des structures humaines plus grandes, avec des interdépendances plus lointaines et plus bénéfiques.

L’autarcie engendre la pauvreté, la violence, l’hostilité et détruit la collaboration humaine. L’interdépendance est une grande force qui renforce notre humanité commune. La mondialisation est l’interdépendance ultime, et des siècles de guerre ont pris fin lorsque les pays européens ont choisi de bâtir des relations d'interdépendance solides et de mutualiser leurs ressources.

Nous ne devrions pas nous limiter à des relations de proximité, mais au contraire chercher à rendre nos communautés aussi grandes que possible afin que les conflits se résolvent par la loi et la négociation, plutôt que par la violence.

Contre-vérité 5: nos usages de la technologie sont futiles

La technologie nous encourage à gaspiller de l’énergie et des matières premières pour des usages futiles, et les externalités négatives générées sont entièrement évitables. Il suffit que les gens se concentrent sur ce qui compte vraiment.

Un épouvantail classique des decels. Chaque fois qu’ils veulent dénigrer une technologie, ils mettent en avant ses usages les plus futiles et les plus superflus, sans mentionner ses bénéfices. Je me souviens d’une citation d’un élu disant que la 5G allait être utilisée pour “regarder du porno en HD”. Peut-être, mais elle sera également utilisée pour permettre la chirurgie à distance, dans des drones agricoles pour réduire l’utilisation de pesticides, et dans des voitures autonomes pour réduire les accidents de la route. Il devrait y avoir une analyse coûts-bénéfices, pas une caricature de tous les usages.

Les programmes spatiaux sont également présentés par les decels comme futiles, juste un moyen d’avoir un débit internet plus rapide et de permettre aux milliardaires d’aller dans l’espace. Mais les programmes spatiaux sont la raison pour laquelle nous pouvons communiquer gratuitement à travers le monde, la raison pour laquelle nous avons un GPS fiable et des prévisions météorologiques précises, et ils pourraient un jour débloquer des ressources minérales illimitées.

Les smartphones peuvent servir uniquement à jouer à Candy Crush et prendre des selfies avec votre chat, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas utiles dans de nombreux autres contextes.

En ce qui concerne la crise climatique, les principales émissions de gaz à effet de serre proviennent d'activités qui sont loin d’être futiles : les émissions les plus importantes sont générées par l'industrie (avec la production d’acier et de ciment en tête), la production d’électricité et l’agriculture. Pas exactement des activités de loisir. Penser que l’on peut simplement éliminer les usages futiles de l’énergie et des matières premières est une illusion. Personne n'est d'accord sur ce qui est nécessaire et ce qui est superflu, et la grande majorité des émissions sont en réalité liées à des besoins humains fondamentaux : une vie longue et en bonne santé, un logement confortable, une alimentation saine, et du temps libre.

Contre-vérité 6: le naturel vaut mieux que l'artificiel

Tout d’abord, il y a une confusion globale sur ce qui est artificiel et ce qui est naturel. Pratiquement tout ce qui nous entoure aujourd’hui a été modifié par les humains. Même nos plantes ont été profondément transformées, et nos animaux de compagnie sont des versions évoluées de leurs ancêtres sauvages. Un exercice amusant consiste à comparer les versions sauvages et modernes des fruits et légumes:

Personne ne reconnaîtrait nos fruits et légumes modernes avant leur domestication. Nous les avons profondément modifiés en utilisant des techniques de plus en plus avancées pour nous nourrir, et s'ils sont naturels, alors l’acier et le béton le sont aussi.

La frontière entre le naturel et l’artificiel est floue, et qualifier quelque chose de “naturel” est souvent une simple astuce marketing. De la même manière, lorsque quelque chose est désigné comme "chimique" c'est pour le dévaloriser. Les humains sont littéralement des sacs d'eau remplis de produits chimiques, et pour un non-spécialiste, il est impossible de dire si quelque chose est nocif ou bénéfique.

L’idée que ce qui est naturel est forcément bénéfique tandis que ce qui est artificiel est nécessairement toxique est fausse, tout comme l’inverse. Certains composants naturels sont de fantastiques cadeaux et sont exploités avec succès par la technologie humaine, tandis que d’autres sont profondément nocifs et doivent être évitées ou éradiquées.

Contre-vérité sur le savoir: les brevets sont détestables

Les brevets sont un avatar du capitalisme sauvage, et la preuve que les multinationales contrôlent le monde.

L’idée derrière un brevet est que vous devez décrire précisément votre invention pour qu’elle soit protégée pendant 20 ans. Ensuite, elle tombe dans le domaine public. Les brevets sont en réalité un excellent outil de diffusion du savoir.

Les brevets sont la raison pour laquelle nous avons des médicaments génériques. L’ampoule originale a été brevetée, permettant des améliorations sur le design d’Edison lorsque le brevet a expiré. Le transistor a été breveté par Bell Labs, puis est devenu un élément fondamental de l’électronique moderne. Les brevets sont incroyables.

Soyons optimistes, construisons l'infrastructure industrielle du futur et grimpons l’échelle de Kardashev

Pour convaincre les citoyens que la décroissance est la solution évidente à la crise climatique, il faut d’abord leur faire croire que l’état actuel du monde est désastreux. Ensuite, que la voie que nous suivons actuellement, qui consiste à augmenter la disponibilité en énergie et en matières premières grâce à la technologie, mène à la catastrophe. Enfin, il faut les persuader que la décroissance conduirait à un monde meilleur.

Tout ceci est faux, et les chiffres racontent une autre histoire, où le progrès a apporté d’immenses bénéfices à l’humanité. Des milliards de personnes sont sorties de la pauvreté, la grande majorité de la population mondiale a désormais suffisamment à manger, sait lire et écrire, et a été libérée de lourds travaux manuels. Il reste certainement des problèmes : nous émettons encore trop de carbone, les accidents industriels sont encore trop fréquents, beaucoup d'humains ne mangent pas à leur faim, et une erreur dans un laboratoire peut avoir des conséquences planétaire. Nous pouvons toujours nous améliorer, mais nous disposons déjà de solutions technologiques, et tout abandonner entrainerait des souffrances considérables.

Contrairement à ce que prétendent les decels, nous n’avons jamais perdu de vue l’objectif du progrès. Nous voulons une longue vie en bonne santé, une alimentation variée et saine, une maison confortable, des relations épanouissantes et du temps libre pour poursuivre nos passions. Nous voulons créer notre propre Jardin d’Éden, nous voulons atteindre une abondance soutenable, nous voulons gravir l’échelle de Kardashev. C'est l'objectif du progrès technologique.

Maximisons la disponibilité énergétique et matérielle grâce à la technologie pour atteindre l'abondance soutenable

Des millions de scientifiques et d’ingénieurs ont consacré leur vie à construire des systèmes dédiés à la création d’un Jardin d’Éden humain. Des milliards d’années cumulées ont été investies dans le progrès technologique. Nos ancêtres ont bâti une grande civilisation industrielle, la plus prospère et la plus avancée de l’histoire. Nous ne devons pas ralentir, nous devons accélérer. Nous pouvons atteindre une abondance soutenable si nous faisons les bons choix, si nous construisons l’infrastructure industrielle du futur et résistons aux pièges des pensées millénaristes religieuses.

The Techno-Optimist Manifesto | Andreessen Horowitz
We are told that technology is on the brink of ruining everything. But we are being lied to, and the truth is so much better. Marc Andreessen presents his techno-optimist vision for the future.